Lorsque je reçois des autobiographies dont les auteurs me soumettent le premier jet pour que je les retravaille, je constate régulièrement qu’ils sont tombés dans les mêmes pièges, qui peuvent sembler bien attirants, mais qu’il faut pourtant éviter à tout prix. Quatre sont particulièrement récurrents :
– écrire un réquisitoire contre des proches qui vous ont fait et vous font encore souffrir,
– tomber dans la diffamation et risquer un procès,
– ne pas résister à l’attrait du plagiat,
– écrire sous l’influence de vos proches,
Vous fixer un délai trop court pour terminer votre livre constitue un autre écueil, qui risque de vous empêcher de terminer votre récit.
1 Écrire un réquisitoire
Le premier piège consiste à vouloir faire de votre livre un réquisitoire contre votre entourage (en particulier contre vos enfants), sous prétexte que vous avez de nombreuses choses à leur reprocher. Vous attendez ce moment depuis si longtemps, que vous allez vous faire un plaisir de leur dire leurs quatre vérités dès l’avant-propos, alors même que vous rêvez de vous réconcilier avec eux.
Mettez-vous à la place de vos lecteurs : s’ils prennent un savon dès la première page, que vont-ils faire ? À coup sûr refermer votre livre, probablement le mettre à la poubelle ou vous le renvoyer, au mieux l’enfouir au fond d’un placard qu’ils n’ouvrent jamais. Et le message que vous vouliez leur adresser aura autant de chance d’être reçu que ceux que jetaient des naufragés à la mer dans une bouteille.

Pire, vos difficultés relationnelles s’aggraveront : attaquer vos proches par écrit, dans un livre, rendra hautement improbable votre réconciliation.
Une personne que j’ai accompagnée dans son projet d’autobiographie illustre bien cette problématique. Dès la première ligne du premier chapitre, elle voulait traiter ses enfants de noms d’oiseaux ! Je me suis battue en vain pendant des semaines pour lui faire comprendre qu’avec une telle introduction ils ne liraient pas son livre, alors qu’il révélait le calvaire qu’avait été son enfance, calvaire qui expliquait pour une large part les difficultés relationnelles qu’elle avait ensuite connues avec eux.
Contre toute attente, juste avant que nous lancions la fabrication de son livre, ses enfants l’ont recontactée. Elle n’avait pourtant aucune nouvelle d’eux depuis une dizaine d’années. Ils étaient prêts à renouer le dialogue. Imaginez la catastrophe si leur mère leur avait envoyé son livre avant leur appel ! Leur réconciliation serait devenue inconcevable.
D’autre part, n’oublions jamais que ce que nous écrivons dans un livre restera. Vos propos se transmettront de génération en génération. Êtes-vous certain que vous voulez que vos arrière-arrière-arrière-petits-enfants ne retiennent de leur ancêtre (vous !) que ses différends avec ses enfants ou sa colère après leur déménagement à l’autre bout du pays ?
J’imagine aisément votre frustration si vous comptiez profiter de votre livre pour exprimer une amertume qui vous mine. Si vous êtes malheureusement dans ce cas, je vous suggère de prendre quelques heures pour écrire tout ce que vous reprochez à votre entourage : oubliez toute retenue, permettez-vous les termes les plus violents et les plus grossiers. N’hésitez pas à être d’une totale mauvaise foi, grossissez le trait, rajoutez-en encore et encore ! Bref, défoulez-vous !
Lorsque vous avez terminé, relisez votre texte, puis détruisez-le (vous pouvez, par exemple, le brûler, pour exprimer symboliquement votre volonté de passer à autre chose). En effet, il ne faudrait pas que vos proches tombent un jour dessus, notamment après votre décès, lorsque vous ne pourrez plus expliquer dans quel contexte il a été écrit !
Cet exercice devrait vous soulager et éviter que votre rancœur et votre amertume viennent polluer votre livre. Vous pourrez plus facilement vous consacrer aux autres aspects de votre vie et, éventuellement, évoquer vos problèmes avec vos proches brièvement, avec davantage de modération. Et, lorsque vous le ferez, je vous conseille de parler de ce que vous ressentez (tristesse, frustration d’être coupé des siens, solitude, incompréhension) plutôt que de remettre en question leurs décisions et choix de vie.
2 Tomber dans la diffamation

Le deuxième piège concerne là aussi les critiques que vous pourriez formuler à l’encontre d’une personne, mais aussi d’une entreprise… Attention à ne rien écrire qui pourrait vous valoir un procès en diffamation.
Loi du 29 juillet 1881 : « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. »
La jurisprudence vous autorise à formuler des critiques, tant que vous n’accusez pas la personne d’un délit ou d’un crime pouvant faire l’objet d’une condamnation. Vous pouvez donc écrire que cette personne est idiote, égoïste, menteuse, insupportable, qu’elle a un caractère de cochon… Mais pas qu’elle volait dans la caisse de votre entreprise ou qu’elle est pédophile. Il existe une exception : si la personne a été jugée et reconnue coupable de ces faits, vous avez le droit de les évoquer.
La jurisprudence est plus conciliante quand la personne mise en cause est décédée. Méfiez-vous tout de même de la susceptibilité de ses descendants !
Si vous avez des événements à relater qui pourraient vous valoir un procès en diffamation, je vous conseille d’écrire un récit à la 3e personne et de changer les noms, les dates et les lieux. Vous pourrez ainsi raconter votre vérité, relater les faits, sans que l’on puisse vous attaquer pour cela.
3 Recours au plagiat

On trouve parfois dans un livre qui nous a beaucoup plu, dans un article de journal, dans le texte d’une conférence ou sur un site Internet, les idées que l’on voulait transmettre dans notre récit, exprimées dans un style qui nous semble meilleur que ce que nous serons jamais capables d’écrire. La tentation peut alors être forte de recopier quelques phrases, lignes ou paragraphes dans notre livre, comme si nous en étions les auteurs.
C’est peut-être tentant. C’est surtout illégal !
Voici un exemple, tiré à nouveau de mon expérience. J’ai travaillé avec un homme qui était président d’une association et qui voulait écrire un livre sur la problématique que celle-ci défendait. Il tenait à utiliser mot pour mot les textes rédigés à ce sujet par l’avocat de cette association. Il était convaincu qu’ils appartenaient à l’association, puisqu’elle avait payé l’avocat pour qu’ils les écrivent, et que, en tant que président très investi, il pouvait les utiliser à son compte. Non, un texte appartient à son auteur, sauf si le contraire est stipulé dans un document qu’il a signé.
Vous avez malgré tout très envie de vous approprier les écrits d’un autre ?
Demandez-vous d’abord si vous en avez vraiment besoin. Pourquoi chercher à passer pour plus érudit ou meilleur écrivain que vous ne l’êtes ? Ce n’est pas une prouesse littéraire que vos proches chercheront dans votre autobiographie : ils voudront savoir ce que vous pensez, ce que vous avez dans le cœur, ils voudront suivre votre raisonnement, pas celui d’un expert.
Si vous souhaitez, malgré tout, utiliser une phrase tirée des écrits d’un autre, n’oubliez pas d’indiquer l’auteur, de mettre entre guillemets le texte reproduit, et, si possible, de préciser d’où il est tiré (nom du roman, de l’essai, de l’article et du journal où vous l’avez trouvé…). Lorsque c’est possible, demandez l’autorisation de l’auteur. C’est ce que devait faire l’homme de mon exemple : obtenir l’autorisation écrite de l’avocat de son association.
Vous verrez cependant qu’en dehors de très rares cas, vous n’aurez pas besoin d’avoir recours aux écrits des autres.
4 Influence intempestive

Faire lire votre récit au fur et à mesure de sa rédaction à une personne de votre famille proche peut également constituer un piège. Là encore, c’est bien tentant : vous ressentez le besoin d’être encouragé et d’avoir un regard extérieur sur votre travail.
Cependant, je vous conseille de ne laisser lire votre autobiographie aux personnes qui vous sont les plus intimes (parents, frères et sœurs, conjoint, enfants) que lorsqu’elle est terminée, imprimée et diffusée.
Quel risque courez-vous à leur faire découvrir avant ? Celui de les entendre vous expliquer qu’ils ne sont pas d’accord avec votre regard sur telle personne, tel événement ou telle situation. Celui de les voir au mieux vous suggérer de modifier vos propos sur un sujet ou un autre, au pire faire pression sur vous jusqu’à ce que vous vous exécutiez. Les discussions peuvent être sans fin et pénibles pour l’auteur.
Ce problème se rencontre beaucoup plus rarement une fois le livre achevé et édité. En effet, il est désormais trop tard pour en modifier le contenu, il est devenu inutile de chercher à vous influencer.
Si vous souhaitez que quelqu’un relise votre texte avant la fabrication de votre livre pour identifier les éventuelles coquilles, privilégiez une personne de votre cercle amical connue pour sa bienveillance ou un professionnel de l’écriture (relecteur), qui ne sera jamais dans le jugement, car votre histoire ne le touchera pas personnellement.
5 Excès de vitesse

Écrire son autobiographie est un projet d’envergure. Il a besoin de temps pour mûrir et mérite d’être mené dans les meilleures conditions. Par définition, vous ne rédigerez votre autobiographie qu’une fois. Il serait dommage que vous réalisiez après-coup que vous avez oublié des sujets importants ou que vous auriez dû l’écrire différemment pour mieux faire passer vos messages et votre ressenti.
Je vous conseille donc de prendre votre temps !
Faire remonter les souvenirs du fond de votre mémoire est un processus long, qui s’amplifie avec le temps. De plus, la meilleure façon de progresser en matière d’écriture (c’est-à-dire d’écrire de mieux en mieux, de plus en plus vite en s’amusant toujours plus) est de rédiger régulièrement, sans dépasser deux à trois heures par séance. L’écriture est comme toutes les activités humaines. C’est un entraînement répété, sans excès, dans le plaisir et l’enthousiasme, qui permet les progrès les plus spectaculaires.
Si vous vous fixez un objectif de délai trop court, vous obligeant à écrire quotidiennement pendant des heures, au détriment d’autres activités qui vous tiennent à cœur, vous ne laissez pas le temps à votre cerveau de mûrir ses idées et d’être créatif, vous perdez le recul sur votre travail et vous risquez de saturer. Votre livre perdra en qualité… ou ne verra jamais le jour, car vous abandonnerez votre projet en cours de route, le jugeant trop lourd et trop prenant.
À l’opposé, il mérite que vous y consacriez du temps régulièrement. Si vous n’écrivez qu’épisodiquement, vous perdez le fil de votre récit et vous ne progressez pas.
Il n’y a pas de recette miracle du type « il faut écrire son autobiographie en X mois, à raison de Y heures par semaine ». Tout dépend de votre disponibilité, de votre âge et de votre santé. Disons cependant que vous avez tout intérêt à y consacrer quelques heures par semaine (deux ou trois séances de deux heures, par exemple) : entre la phase de préparation, la phase de rédaction et celle des relectures, vous pouvez espérer terminer votre livre en 6 mois. Cela me semble une période suffisamment longue pour ne pas avoir de regrets a posteriori et suffisamment courte pour créer une dynamique motivante et efficace.
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